Le plus beau critère de réussite pour une marque n’est-il pas de devenir un nom commun ? Après quarante ans de bons et loyaux services, le Stabilo a donc rejoint le Frigidaire, le Kleenex et le Bic au panthéon des objets quotidiens indispensables, tout en poursuivant une carrière brillante, et même surbrillante !

Il faut dire que le stabilo présente pas mal d’avantages.

Tout d’abord, c’est un mot agréable qu’on se plaît à prononcer : une sifflante, une dentale, une labiale, et des voyelles variées… Stabilo (qui commence et finit comme stylo, le abi allemand supplantant le y grec…) vient donc joliment enrichir la langue française, où il concurrence le terme technique et un peu fade de « surligneur ». Et puis, stabilo a engendré un autre néologisme bien sympathique, le verbe associé. Je ne parle pas de stabilobosser qui est trop long (cinq syllabes !), trop proche de la marque et dont le « boss » a des connotations hiérarchiques passées de mode. Je veux parler de stabiloter, avec son suffixe –oter qui donne un côté à la fois manuel et intime à l’opération de « stabilotage », comme dans siroter, dorloter, tricoter  voire traficoter ou emberlificoter. Surtout, cela nous change des anglicismes (highlighter) ou des équivalents français à rallonge-repoussoir (« mettre en surbrillance »).

Ensuite, le stabilo est un instrument extrêmement pratique. Il a été inventé sur une idée de Günter Schwanhaüsser pour remédier aux gribouillis peu lisibles résultant de l’usage de feutres ordinaires par les dirigeants et les étudiants pour marquer les passages clés d’un texte (voir l’article de Chantal Houzelle dans Les Échos). D’une façon générale, le stabilo, grâce à son encre fluorescente et à ses qualités plastiques (pour les détails, voir le site du fabricant, toujours mieux que les imitateurs) révolutionne le coloriage. Il permet, entre autres, de mettre en évidence, lisiblement et proprement, les mots et phrases clés d’un document à étudier, impression d’un article de Wikipédia, rapport, magazine papier ou livre imprimé (pour ceux qui ne jugent pas sacrilège d’annoter les livres). Il existe neuf coloris de stabilo mais le jaune reste le plus utilisé.

La troisième qualité du stabilo est d’être transposable au numérique, même si la marque éponyme allemande n’intervient pas (encore) sur ce terrain-là. Le surlignage est banal parmi les fonctionnalités des logiciels bureautiques mais le succès commercial du Stabilo Boss fait que l’on en vient naturellement à « stabiloter un PDF ». Lorsque l’on ne veut pas gaspiller du papier en imprimant (cf le billet Écolo) ou que l’on s’est accoutumé à lire ou relire à l’écran et que l’on maîtrise un tant soit peu les outils informatiques, il est très efficace de surligner un écrit sous forme numérique, y compris lorsqu’il est figé (le format PDF occupe ici le terrain). Ainsi, dans les copies numériques des élèves, de plus en plus nombreuses, le soulignage au stylo ou au crayon rouge du professeur cède progressivement la place au surlignage numérique jaune, moins sévère. Tout un symbole… Le jaune est en effet la couleur par défaut pour le stabilotage d’un document PDF ; il est possible dans Adobe Reader de changer cette couleur mais pas très pratique d’utiliser plusieurs couleurs en parallèle sans tri-cliquer à chaque fois ; ce serait pourtant bien pratique de pouvoir différencier les annotations (orthographe, syntaxe, inexactitude, expression confuse, etc.). Adobe s’en soucie-t-il ?

Un petit bémol cependant face à cet engouement pour le stabilo. Comme pour tout produit pratique et agréable, il porte en lui le risque d’un excès. Stabiloter à tout va revient à s’habituer à morceler sa pensée, à réfléchir par juxtaposition de mots-clés, de morceaux de phrases, à évacuer la structure du raisonnement en se focalisant sur ce qui clignote, à ne plus faire l’effort d’une lecture suivie d’un texte écrit sans stabilo.

Bon, tant que l’on n’oublie pas de lire intégralement, de temps en temps, un bon rapport, un bon texte de loi (de plus en plus rare), un bon essai ou un bon roman, ça va.

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  1. Un petit bémol cependant face à cet engouement pour le stabilo. Comme pour tout produit pratique et agréable, il porte en lui le risque d’un excès. Stabiloter à tout va revient à s’habituer à morceler sa pensée, à réfléchir par juxtaposition de mots-clés, de morceaux de phrases, à évacuer la structure du raisonnement en se focalisant sur ce qui clignote, à ne plus faire l’effort d’une lecture suivie d’un texte écrit sans stabilo.

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