Associer information et camembert a un petit côté oulipien mais l’Oulipo est à la mode avec l’attribution du dernier prix Goncourt 2020 à Hervé Le Tellier pour son roman L’anomalie. L’idée m’est venue récemment, je ne sais déjà plus à propos de quoi, de comparer l’information et le camembert. Eh bien, j’ai trouvé plus de points communs que de différences…

Quelle information? Quel camembert?

Pour information (au singulier), je retiens cette définition du Wiktionnaire : « un élément de connaissance contenu sur un support » ; et pour le camembert, c’est un « fromage à pâte molle, de couleur blanche et de forme ronde ». Oui, il s’agit bien du fromage et non du diagramme de la représentation de statistiques ou de proportions empruntant son nom à la forme dudit fromage.

Les informations sont dans le monde assurément plus nombreuses que les camemberts, bien que personne n’ait à ma connaissance dressé la liste exhaustive à un temps T des unes et des autres. Mais cela n’empêche pas de comparer leurs caractéristiques respectives.

Les points communs

J’en retiens au moins quatre.

Celui auquel on pense immédiatement est l’authenticité.

La production de fromage dans le village normand de Camembert est attestée depuis le XVIIIe siècle (1791 pour les uns, 1702 pour les autres). Victime manifeste de son succès, le fromage de Camembert fut imité et produit au cours des siècles suivants bien au-delà des limites de la commune d’origine, à tel point que camembert, avec une minuscule, est devenu un nom commun, état de fait confirmé il y a bientôt un siècle par la cour d’appel d’Orléans.

Dès lors se pose la question de l’authenticité: ce camembert que je regarde vient-il de Camembert? Des environs ? De Normandie ? Est-il bien ce pour quoi il se présente ? Est-il authentique ? S’agit-il d’une contrefaçon ? Est-ce que l’on cherche à me tromper ? Est-ce que c’est bon ?

Comme pour l’information, la réponse à la question n’est pas toujours tranchée. Une information peut être authentique, c’est-à-dire être ce qu’elle prétend être, provenir effectivement du producteur apparent. Elle peut être falsifiée ou contrefaite, en empruntant des éléments de vraisemblance enchâssés dans un canevas d’une autre provenance que celle qui est affichée. Elle peut, comme un camembert, se situer dans la zone grise entre vrai et faux, quand elle ne provient pas de son auteur prétendu mais que malgré tout elle est fiable, de même qu’un camembert qui contient autre chose que du lait de vache normande tout en étant fabriqué en Normandie peut être goûteux.

Cette question de l’authenticité conduit au deuxième point commun entre les deux objets : celui d’une réglementation qui vise à régenter le vrai. Il faut bien reconnaître qu’il s’agit dans les deux cas d’une réglementation de gendarmes qui courent après des voleurs, les derniers et donc les premiers courant toujours plus vite.

L’excellent article « Camembert : le mot et la chose » du Dr Claire Condemine Piron expose les nuances de la réglementation autour de l’appellation « camembert » avec une AOC « Camembert de Normandie » en 1983, l’AOP européenne de 1992 qui introduit le « camembert fabriqué en Normandie » et diverses subtilités. La guerre autant commerciale que politique que se livrent les fabricants conduit à renchérir sur les appellations, par exemple avec le « Véritable Camembert de Normandie », tout en laissant des possibilités d’interprétation vicieuse dans lesquelles s’engouffrent certains industriels plus soucieux de réaliser une croissance à deux chiffres que d’apporter nourriture et bien-être aux populations mangeuses de fromage.

La qualité de l’information est également visée par une réglementation qui s’étoffe toujours davantage mais qui est cependant plus diffuse, touchant des facettes très disparates de la diffusion de l’information aux internautes. D’un côté, la prolifération des faux mails et autres messages qui tentent de se faire passer pour l’administration pour arnaquer le chaland relève des codes anciens que sont le code civil et le code pénal. D’un autre, il y a depuis trois ans le Règlement général pour la protection des données personnelles (RGPD) qui donne un cadre à la collecte, à la sécurisation et au traitement des données (qui sont presque toutes personnelles quand on y réfléchit). Enfin, il faut mentionner les lois récentes qui ont pris pour cible la désinformation, comme la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information ou la loi n° 2020-766 du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, en attendant la suite car, là aussi, les failles et les contournements ne manquent pas.

Je remarque au passage que la qualité de l’information n’est pas à ce jour catégorisée dans la loi. À quand une IOC (information d’origine contrôlée) et une IOP (information d’origine protégée)?

On peut noter ensuite une similitude dans les éléments qui permettent de qualifier tant l’information que le camembert. Ce sont d’abord la pluralité des ingrédients nécessaires à la production, puis un procédé de fabrication bien déterminé et enfin divers critères environnementaux qui rendent la qualification de l’objet plus complexe.

Le camembert est composé de lait de vache (laissons de côté l’expression « camembert de chèvre »), plus précisément de lait de vache normande mais les camemberts fabriqués avec le lait d’une seule vache se font rares ; de plus le lait de vaches normandes (au pluriel) est mélangé très (trop) fréquemment avec le lait de vaches qui ne sont pas normandes… Le lait est cru ou bien pasteurisé. Le fromage est moulé à la louche et égoutté d’une certaine façon ; il est emballé dans une boîte en bois ou une boîte en carton. L’environnement de production n’est pas neutre, avec la pollution possible de l’air dans le pré où les vaches ont pâturé, ou bien la composition de leur alimentation quand elles ne paissent pas.

De même, l’information comporte des ingrédients constitutifs : un énoncé, une source, une date. Comme le camembert et ses mélanges de laits, l’information peut ne se rattacher qu’à un seul fait ou une seule idée, comme elle peut résulter d’un mélange subtil de faits et d’opinions de provenances diverses parfois difficiles à démêler. L’information se fabrique par enregistrement sur un support et diffusion ou mise à disposition de ce support, ce qui libère son contenu ; en principe, une fois crée, l’information n’est plus modifiée, afin de préserver son intégrité. L’environnement de diffusion et de conservation est important car une information tronquée, surchargée d’une illustration exogène, décontextualisée, mal étiquetée ou mal classée, perd de sa qualité.

Enfin on peut noter que, sans s’embarrasser des termes de la loi, le consommateur éclairé, amateur de camembert ou friand d’information, sait faire la différence entre un produit authentique et un produit de médiocre qualité ou inutilement puant. Le même consommateur peut du reste consommer à l’occasion du tout venant (par facilité ou nécessité conjoncturelle) comme il peut se délecter d’un « Véritable Camembert de Normandie » en savourant une information originale, charnue et sourcée.

Les différences

La comparaison entre information et camembert a bien sûr ses limites. Mettre sur le même plan la matérialité du fromage et cette chose abstraite qu’est l’information, même lorsqu’elle est enregistrée sur un support, est tiré par les cheveux. C’est le côté oulipien de l’exercice. Chacun y prendra ce qui lui convient.

On pourrait croire, donc, que les différences entre les deux objets sont les plus nombreuses. Pourtant, je n’en ai trouvé que deux : le lieu et le temps.

La première différence entre information et camembert tient à l’origine géographique. Le Camembert est lié au terroir normand, en France donc, tandis que l’information n’a pas de terroir, dans le sens où l’on ne saurait nommer le lieu où a été identifiée et qualifiée la première information de notre histoire commune. On pourrait tout de même suggérer, comme localité d’origine, Ur, en Mésopotamie, berceau de l’écriture…

Il faut encore souligner, sur la question du lieu, que si une information est immatérielle, elle ne vient pas avec la pluie mais sourd d’une source qui est localisée (ou localisable), sous la forme d’un ouvrage, d’un auteur, d’un outil de captation de données. Mais mettons tout de même ce point au rang des différences.

La seconde différence concerne la durée de vie. Là, il n’y a pas à discuter : les jours d’un camembert sont comptés, sa durée de conservation s’exprime au mieux en semaines. Tandis que l’information valse d’une durée de quelques minutes à une vie de plusieurs siècles. Là réside la différence essentielle entre information et camembert.

J’ajoute une remarque, non pas sur la différence intrinsèque entre camembert et information mais sur le comportement des humains devant ces deux types d’objets. J’ai l’impression que, en matière d’information, la mode est à chercher la mauvaise (la chasse aux infox), tandis qu’en matière de camembert, c’est plutôt l’authentique qui est recherché. Curieux, non ?

Camembert et absence d’information

Classique des cours d’école de naguère, l’expression « Ferme ta boîte à camembert, tu l’ouvriras pour le dessert » est encore vivace. Cette formule un peu longuette pour dire juste « tais-toi » met en évidence un lien intéressant entre le camembert et la production d’information, ou plus précisément entre le camembert et l’absence de production d’information. Car si le fait d’être silencieux laisse la possibilité de recevoir des informations, il empêche d’en produire.

Coïncidence : comme je commençais l’écriture de ce texte, je me suis trouvée à écouter sur France Culture le billet politique de Frédéric Says, intitulé « La crise sanitaire favorise-t-elle le présidentialisme ? ». Alors, forcément, le mot « camembert », au beau milieu son propos, m’a accrochée. Je cite :

«  »Agilité », « rapidité » : pour lutter contre la pandémie, l’exécutif concentre davantage de pouvoirs. Provisoirement ? Ce mercredi encore, il s’immisce dans l’agenda des plus hauts responsables de la République : le conseil restreint de défense sanitaire.  Il rassemble une poignée de personnes : le président, le chef du gouvernement, quelques ministres, des hauts-fonctionnaires et c’est tout. Ce conseil est devenu le principal lieu de la décision politique. Ses avantages sont connus : discrétion totale, pas de fuites – la réunion est d’ailleurs soumise au secret-défense.

[…]

Pendant ce temps, où est le parlement, où sont les autres rouages de la République ? Dépourvus de pouvoir, comme s’ils n’avaient pas leur mot à dire.

Pour résumer : d’un côté, le président. De l’autre, camembert ! »

N’est-ce pas une authentique preuve que camembert et information sont liés ?

Mais au fait, pourquoi faudrait-il attendre le dessert ?

4 commentaires

  1. La comparaison entre « camembert » et « information » me semble très pertinente. Une ambivalence persiste concernant le champ ontologique dont ils relèvent, celui des faits auxquels on applique des valeurs de vérité (un vrai camembert/information, versus un faux camembert/information), ou celui des valeurs, qu’on évalue en termes de bien et de mal (un bon ou un mauvais camembert/information). Bien sûr, c’est sur cette ambiguïté que s’appuient les « menteurs de profession », qui jonglent avec ces référentiels, en multiples figures de l’imposture…

  2. De plus, la boîte de camembert est également un support d’information (réglementée aussi) généralement abscons pour le non-spécialiste pour trouver de l’information vérifiée (lieu réel de fabrication, groupe économique ou entreprise indépendante , lait de vache, procédé de fabrication…) mais bien diserte sur son discours publicitaire.

    • Tu as raison, Bruno. Les subtilités marketing autour du produit (camembert ou information) constituent un autre point commun. Mon billet est très incomplet .

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