La bureaucratie, tout le monde s’en plaint mais tout le monde y contribue. Et la bête ne fait que grossir.

Cette fois, j’ai dit non, histoire de me remonter le moral, ou de me donner l’illusion que je peux lutter contre le mammouth (ce qui revient un peu au même).

À la fin de l’année 2018, je suis intervenue dans une formation d’un établissement d’enseignement supérieur, à la demande du responsable d’un parcours universitaire, pour une conférence de trois heures, devant être rémunérées sous forme de vacations. Le jour de mon intervention, les modalités administratives n’étaient pas réglées mais ma démarche était d’abord pédagogique.

Un mois plus tard, je reçois les formulaires à remplir pour constituer mon dossier vacataire, condition sine qua non de tout paiement. Devant le nombre de papiers à remplir en répétant les mêmes informations, le nombre et la nature des pièces justificatives à joindre, la perspective d’une expédition au bureau de Poste, mes forces m’abandonnent. Je calcule que si je défalque ce que me coûte de ce pensum (temps passé que, dans un emploi du temps très chargé, je pourrais consacrer à une autre tâche plus valorisante) de ce que me rapportent ces trois heures de vacations (moins les charges et les impôts), il ne reste pas grand-chose. Je renonce et j’informe le service que j’abandonne l’affaire. Dossier clos.

Non. Trois ans plus tard, un autre fonctionnaire me relance. On me demande de remplir et d’envoyer le dossier par mail, alors que les formulaires à renseigner portent en pied de page la mention en lettres rouges « Ce document doit obligatoirement être transmis en original au CSP RH (scan ou copie non acceptés). Il est vrai que la crise sanitaire est passée par là et le virus a tué le slogan farouche « seul le papier fait foi » (il était en effet beaucoup trop vieux et souffrait de comorbidités diplomatiques patentes).

Le choc de simplification, bien que plus jeune (2013) est manifestement grippé lui aussi.

Au sujet de la bureaucratie, je me demande si la Cour des comptes s’est déjà penchée sur le coût de la gestion des enseignants-vacataires et les améliorations que l’on pourrait apporter au système dans l’intérêt des contribuables, des fonctionnaires et des enseignants. J’entends bien qu’il faut 1) collecter un minimum de données sur une personne pour la rémunérer d’un service rendu, et 2) contrôler les abus de la formule car tout dispositif de financement public a ses détourneurs et ses profiteurs. Mais qui peut croire que la réponse à ces deux bonnes questions soit toujours plus de paperasse (ou d’électronasse, ce qui est pire)? La remarque vaut d’ailleurs pour d’autres dispositifs de l’administration française relatifs à des sommes modestes dont la gestion coûte plus cher que les montants distribués. Cela me rappelle le système complexe d’affranchissement du courrier au milieu du 19e siècle quand le prix du timbre-poste était savamment calculé en fonction de la distance parcourue, parfois au kilomètre près, jusqu’à ce que les États établissent des tarifs forfaitaires selon quelques grands cas figure (national / international, tranches de poids, etc.). Ne pourrait-on imaginer un forfait selon le nombre de vacations (par tranche), avec une base de données minimales centralisées des vacataires permettant de contrôler le système et éviter les abus ? Et faire un peu plus confiance aux responsables de formation ? Bref, une gestion a posteriori plutôt qu’a priori. Tout le monde y gagnerait.

Ce n’est pas tout. Non seulement cette machine administrative de constitution de dossiers d’enseignants-vacataires est une élève zélée de la bureaucratie française mais elle est en plus peu conforme au Règlement général pour la protection des données personnelles (RGPD).

Il est en effet assez effarant de voir le nombre de données réclamées pour être indemnisé de partager son savoir avec des étudiants !

Par exemple, pour un salarié du privé, la procédure réclame:

  • CV
  • copie recto-verso carte d’identité (lisible et en cours de validité)
  • copie carte vitale ou attestation sécurité sociale (lisible)
  • RIB avec IBAN et BIC (compte courant obligatoirement) – au nom du candidat ou compte joint (uniquement Mr X OU Mme X – pas de ET ) – pas de RIB entreprise
  • attestation employeur originale complétée et signée de l’autorité compétente
  • copie dernière fiche de paye (non raturé, sans correcteur)

Soyons honnête, que l’intervenant soit étudiant, fonctionnaire, salarié du privé ou retraité, quelle différence s’il s’agit de rémunérer le même travail ?

Mais ce qui m’a fait le plus réagir, c’est la mention suivante dans le mail de relance: « Si vous ne souhaitez pas être rémunéré, afin de clore ce dossier, vous pouvez me retourner le dossier complété, signé, en cochant la case bénévolat et en joignant une copie de votre pièce d’identité et de votre carte vitale » (sic). Communiquer ma carte vitale comme justificatif d’une non-action ! ? !

En revanche, aucune information concrète sur la justification de la collecte de ces données (article 5 du RGPD), ni sur le lieu de leur stockage et les mesures de sécurité qui y sont associées (article 32), ni sur la durée de conservation des données (article 13). J’aimerais bien savoir, sur tous les dossiers d’enseignant-vacataire que j’ai remplis depuis trente ans, ce qui a été détruit…

Alors non, je dis non. Enfin, je ne dis rien. J’écris ce billet, qui ira rejoindre cet autre billet de 2019 Respecter le RGPD ou comment la bureaucratie m’oblige à faire des faux.

2 commentaires

  1. Bonjour Marie-Anne,
    A Aix Marseille Université il y a quelques années, vers 2016, c’était exactement la même bureaucratie pour les vacataires….Par ailleurs, sur le RGPD, nous aurions tous beaucoup d’expériences à raconter, notamment sur le principe de minimisation des données. Ma banque m’ a contrainte, pour pouvoir continuer à acheter via internet, à installer une application sur mon téléphone (pour la sécurisation des transactions). Très bien, mais pour cela, j’ai été contrainte de créer un compte google, avec une adresse gmail, et google me demandait mes nom prénom et date de naissance…. demandes auxquelles fort heureusement, on peut donner de fausses réponses !! Je n’ai pas à communiquer à google ma date de naissance.

    • Merci de votre commentaire. Oui, il y aurait lieu de recueillir tous les témoignages pour illustrer l’hypocrisie du système de contournement du RGPD. À se demander si les banques et autres entreprises de service qui donnent là-dedans sont complices ou imbéciles, ou les deux…
      On peut toujours donner de fausses réponses aux questionnaires; je le fais régulièrement quand je constate l’abus (et c’est souvent) mais il faut assumer les effets boomerangs quand Google vous change brutalement votre identité prévenir le jour où vous en avez besoin pour une raison sérieuse (j’ai aussi été confrontée à cette situation désagréable).

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